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Saint Maur Union Sport Cyclotourisme
9 janvier 2019

Métal ou plastique ? Réflexions sur les matériaux d'un cadre.

Cet hiver jusqu’ici bien maussade, s’il n’a pas été propice à l’accumulation des kilomètres, m’aura au moins permis quelques belles rêveries au coin du feu. Comme tout cycliste amateur de matériel (pléonasme ?) j’adore parcourir magazines et sites spécialisés à la recherche de la prochaine monture de mon écurie rêvée. Au cours de ces errances parfois un peu alcoolisées, avouons-le,  une question lancinante s’est posée à maintes reprises. De quelle matière devrait idéalement être fait un vélo ? L’ingénieur n’étant jamais bien loin sous la surface du rêveur, j’ai fait quelques recherches dont je vous livre le fruit ci-dessous.

Commençons chronologiquement. Au commencement, les vélos étaient en bois. Bien vite, les cyclistes se sont plaints de terribles maux de dos et l’un d’entre eux a eu l’idée de souder des tubes d’acier en forme de losange, pendant qu’un autre a proposé de mettre du caoutchouc autour des roues. Le vélo moderne était né. Je vous l’accorde, c’est un peu rapide comme histoire. Wikipedia pourra vous en dire plus si ça vous intéresse. Le fait est que pendant fort longtemps, un vélo était fait de tubes d’acier. Puis on a testé d’autre métaux, comme l’aluminium et le titane, puis enfin, des matériaux composites vers le milieu des années 1980, et on a carrément abandonné la notion de tube dès 1990. Mais n’anticipons pas. Acier, carbone, aluminium ou titane ? Faisons un peu de science des matériaux pour poursuivre.

Le module d’Young d’un matériaux, noté E (si-si c’est logique, vous allez voir), mesure sa déformation sous une contrainte uni-axiale donnée. En gros, si vous tirez sur un truc, il va s’allonger. Si vous lâchez et qu’il revient à sa place, on dit que le truc est élastique. Dans ce cas, E va vous dire de combien va s’allonger votre truc en fonction de la force appliquée. E pour Elastique, c’est logique, je vous l’avait dit. Plus E est élevé, plus le matériaux est rigide, et moins il s’allongera. Plus E est faible, plus le matériau est élastique. Pour un acier « typique » on a environ E=200 GPa. GPa pour Giga Pascal, E est équivalent à une pression, mais on a pas le temps de démontrer pourquoi ici, et on s’en moque un peu pour être honnête. Notez « typique » entre guillemets, on verra au paragraphe prochain que c’est un peu plus compliqué. Pour du titane E=107 GPa, pour de l’aluminium E=69 GPa, et pour en finir avec les métaux usuels, et bien qu’il ne soit à ma connaissance jamais utilisé pour la fabrication de cadres de vélos, pour du magnésium, E=45 Gpa. Pour de la fibre de carbone, c’est plus flou. En gros on pourrait dire que E=120 GPa, mais en pratique ça dépend. On y reviendra. Premier point. L’acier est et de loin le plus rigide des matériaux utilisés dans la fabrication de cadres. Seulement il a un inconvénient. L’acier est lourd (scoop). Sa densité est d’environ 8, il est 8 fois plus lourd que l’eau. Le Titane a une densité de 4.5 et l’aluminium,  avec 2.7, est trois fois plus léger que l’acier. Le champion reste le magnésium avec 1.73, mais il est vraiment trop élastique, oublions le. Avec le métal on a rien sans rien, si on veut du rigide, il faut du lourd. Avec la fibre de carbone, on l’a déjà dit, c’est plus compliqué. Retenons globalement que c’est léger (second scoop).

Mais au fait, qu’est-ce que l’acier ? C’est un alliage de fer et de 0.1 à 2% de carbone, auquel on peut ajouter d’autres éléments tels que du nickel, du chrome ou des terres rares comme le niobium pour lui donner des propriétés chimiques et mécaniques intéressantes. Ses propriétés peuvent donc varier considérablement en fonction de sa composition et de sa structure cristalline, elle-même issue de divers processus de traitement thermique que le matériaux a pu subir. D’où les guillemets à « typique » plus haut. Utiliser un seul chiffre est en effet beaucoup trop réducteur. Chez un même fabriquant les caractéristiques des tubes varient grandement, et en conséquence les prix peuvent aller du simple au quadruple en fonction de la qualité de l’acier utilisé, qui gouvernera la rigidité et le poids du cadre.

L’aluminium est plus simple. Celui qui est utilisé dans nos cadres est dans son immense majorité dit Al6061. C’est un alliage d’aluminium avec du silicium et du magnésium, et un peu de Cuivre et de Crome. On peut faire bien mieux avec de l’aluminium, notamment dans l’aéronautique, mais Al6061 présente néanmoins une résistance convenable et surtout il peut se déformer facilement  (pour en faire des tubes), il ne rouille pas, et peut être soudé aisément ce qui, convenant en, est fort pratique.

A propos de soudure, le Titane utilisé dans les vélos, dit Grade 9, est un alliage avec 3% d’aluminium et 2.5% de vanadium qui est plus exigent que l’aluminium et l’acier à travailler, et requiert un processus de soudage particulier dit TIG, « Tungsten Inert Gas » pour assembler les tubes. Je m’autorise une petite digression pour vous signaler que le soudage TIG consiste à faire fondre une baguette tenue à la main par le soudeur au moyen d’un puissant arc électrique créé entre les pièces à assembler et une électrode en tungstène qu’il tient dans l’autre main, le tout sous une cloche protégeant la soudure de l’oxydation au moyen d’un gaz inerte.  Le procédé requiert une grande dextérité et est bien plus difficile à mettre en œuvre que le soudage classique MIG (Metal Inert Gas) dans lequel un pistolet de soudure à gâchette alimente automatiquement en métal le cordon tout en créant un arc électrique entre les pièces et ce dernier et en projetant le gaz protecteur par la même occasion. Le MIG est utilisé pour assembler parfois l’acier mais surtout l’aluminium dont les tubes assez épais ne craignent pas une trop forte chaleur. Il peut facilement être robotisé. Pour assembler les tubes acier plus fins des cadres haut de gamme les artisans préfèrent souvent la brasure au chalumeau, qui permet de mieux contrôler la montée en température et de ne pas altérer les propriétés des pièces à assembler. C’est en partie ces spécificités techniques d’assemblage qui font  que les cadres en titane et en acier précieux sont si chers. Fin de la digression. Retenons à ce stade que la hiérarchie est simple. En haut, l’acier, lourd et rigide. En bas, l’aluminium, élastique et léger. Au milieu, le Titane.  A côté, le carbone.

Vu que l’acier est rigide intrinsèquement, on peut en mettre moins et faire des tubes très fins. Vu que l’aluminium est mou, il faut des tubes plus épais, mais comme il est facilement déformable on peut donner aux tubes la forme qu’on veut, pas seulement ronds mais carrés, rectangulaires ou ovales, pour pouvoir résister à la déformation là où on en a besoin, ou mieux pénétrer dans l’air. Dans les faits, il n’en reste pas moins vrai qu’un cadre acier est en général plus lourd qu’un cadre aluminium, qui est plus lourd qu’un titane. La hiérarchie est inversée, le titane est intrinsèquement plus lourd que l’Aluminium, mais comme il est plus rigide on peut mettre moins de matière et au final on y gagne. Pour fixer les idées, disons que sans la fourche et pour une taille moyenne un cadre acier pèsera entre 1.6 et 2 kg, un alu autour de 1.5 kg, et un Titane entre 1.4 et 1.2 kg. La Rolls de l’acier, la famille de tubes en acier inox ultra rigides Colombus XcR donne un cadre autour de 1.5 kg, mais vous allègera de 3590 euros pour ce seul cadre, alors qu’on trouve d’excellents cadres alu pour le même poids, autour de 300 euros.  La différence est-elle justifiée ? On y reviendra.

Tout ça c’est bien joli mais depuis plus de 20 ans aucun coureur du tour de France n’aurait l’idée d’utiliser un vélo en métal. Tout le monde est sur du carbone. La fibre magique a été introduite pour la première fois sur un vélo par Look et Torayca en 1984. D’abord sous forme de tubes pour remplacer les tubes acier dans les cadres à raccord, puis directement sous forme de cadres monoblocs carbone. Elle présente toutes les caractéristiques rêvées pour faire un cadre de vélo, mais un inconvénient majeur. Voyons d’abord les avantages, il y en a quatre principaux.

Premièrement, on ne parle pas de fibre de carbone, mais de fibres de carbone au pluriel. Il en existe de toutes sortes, des très rigides (grand E) aux très élastiques (petit E), tissées dans une direction unique ou en brins croisés. Et on peut les mélanger. Rigide là où il faut (boitier de pédalier, douille de direction, tube diagonal), élastique là où on veut un peu d’amortissement et de déformation (tube horizontal, tube de selle, haubans).

Deuxièmement, le matériau primaire se présente aux fabricants de cadres sous forme de feuilles ou de rouleaux de tissu, ce qui veut dire qu’on peut donner à un cadre carbone absolument n’importe quelle forme, alterner le sens des fibres pour résister aux contraintes qu’on peut modéliser par ordinateur, créer des formes profilées et aérodynamiques pour pénétrer mieux dans le vent, et introduire des zones de déformation aux endroits stratégiques.  

Troisièmement, le rapport rigidité/poids que l’on peut atteindre avec les matériaux composites à base de carbone est sans commune mesure avec de l’acier, du titane ou de l’aluminium. Bien que chaque fibre soit intrinsèquement moins rigide que de l’acier, le fait qu’on puisse alterner et superposer des couches de fibres permet d’obtenir des structures extrêmement rigides. Parfois trop rigides pour le commun des mortels que nous sommes et donc plutôt réservées aux pros, mais c’est une autre histoire. On pourrait faire aussi rigide avec des tubes d’acier épais, mais le poids serait tel que personne ne voudrait rouler sur un tel vélo.

Quatrièmement, le carbone est léger (vous ne le saviez pas ?). Vraiment très léger. Un cadre moderne milieu de gamme pèsera autour d’1 kg. Un cadre très haut de gamme utilisant des fibres ultra rigides et nécessitant donc moins de matière pour obtenir un résultat donné pourra descendre allègrement en dessous de 800 grammes. Le record actuel dans la production de série revient au Trek Emonda SLR, avec 680 grammes.  Près d’un kg de moins qu’un cadre classique en métal, ça commence à compter (dans les faits et pour être honnête, pour un amateur qui ne chasse pas la seconde à chaque montée ça ne compte pas tant que ça, mais ne nous égarons pas).

Alors que reste-t-il à l’acier et au métal en général ? Objectivement pas grand-chose. Le confort ? C’est l’argument le plus entendu. De par sa forte densité, l’acier amorti les vibrations de la route et protège son cycliste sur les longues distances. Mais c’est un peu trop simple aujourd’hui de dire que le carbone est inconfortable. L’idée vient du fait que les premiers cadres carbone étaient des purs cadres de course. Ultra rigides et ultra exigeants, ils transmettaient les plus infimes vibrations de la route directement à leur pilote. Mais ça n’est plus vrai. On sait aujourd’hui alterner les fibres et insérer dans le composite des couches de matériaux viscoélastiques pour amortir les vibrations comme chez Bianchi, ou bien de lin comme chez Look. On introduit des zones spécialement prévues pour se déformer, comme chez Giant, Cannondale, Canyon, Trek ou Specialized. L’acier et le titane autorisent la création de cadres sur mesure, et être bien positionné sur son vélo est le premier élément du confort. Mais le temps ou cadre carbone signifiait vélo de compétiteur ultra bas et lumbago assuré pour un amateur est révolu. Toutes les marques ont des modèles d’endurance plus adaptés à notre pratique. Il faut savoir être raisonnable et ne pas craquer pour un vélo de pro aux multiples victoires sur le Tour si on a des petits soucis de souplesse ou si on prévoit de rester 10 heures d’affilée en selle là ou un compétiteur aura besoin de 5 heures pour faire la même distance. A moins d’avoir une morphologie très particulière, pratiquement tout le monde peut se poser de façon satisfaisante sur les vélos modernes avec des périphériques bien choisis sans avoir recours à du sur mesure.

Le prix alors ? La non plus, ça n’est plus vrai. On trouve des vélos carbone à 1500 euros et des vélos acier ou titane à plus de 10000. Le cas de l’Aluminium est à part. Il est en général le moins cher du fait de sa grande facilité à être travaillé industriellement. Il donnera néanmoins des vélos très typés, soit pour pur compétiteur, ultra rigides et aérodynamiques (Specialized Allez Sprint par exemple) soit plus « mous », pour cyclosportif moins puissant. On lui prête néanmoins la réputation d’amortir moins les vibrations que les cadres acier ou titane ou les carbones modernes, ce qui peut entrainer plus de fatigue sur de longues distances. Suffisant pour excuser les écarts de prix délirants qu’on peut constater avec certains cadres carbone ou les métaux haut de gamme ? C’est à voir.

L’inconvénient du carbone en tant que matériaux de cadre de vélo est ailleurs. Il n’est pas technique, il est social et environnemental. Social tout d’abord, car la fabrication d’un cadre en composite carbone requiert une quantité très importante de travail manuel de découpe des morceaux de tissus de fibre et d’assemblage dans des moules, puis d’ébavurage, de polissage, et de contrôle qualité. Comme dans tant d’autres domaines industriels, les marques ont délocalisé les usines dans des pays ou la main d’œuvre est bien moins chère qu’en Europe, principalement en Asie pour 95% de la production mondiale, ainsi qu’au Maghreb ou en Slovaquie pour nos Fleurons nationaux que sont Look et Time. Moins d’emplois chez nous, plus des coûts environnementaux associés au transport des cadres d’un bout à l’autre de la planète. Hélas l’impact environnemental négatif d’un cadre carbone ne s’arrête pas là. Mettons de côté le bilan carbone de la production de la fibre et de la résine qui l’imprègne, de purs produits de la pétrochimie. Après tout produire des tubes de métal a aussi un cout environnemental et l’industrie métallurgique et minière n’est pas intrinsèquement plus propre que l’industrie pétrolière. Le soucis est ailleurs. Un cadre carbone n’est absolument pas recyclable, à la différence d’un cadre métallique qui l’est à 100% et peut facilement être réparé après un accident. Contrairement à une idée reçue on peut aussi réparer le carbone en cas de chute ou de fractures de fatigue, mais le procédé artisanal est couteux et réservé à des cadres de très haut de gamme pour se justifier économiquement. On aura souvent meilleur intérêt à racheter un nouveau vélo ou un nouveau cadre. Qu’adviendra-t-il de votre épave en fibre ? Elle sera broyée et enterrée, ou brulée. Une triste fin pour un petit chef d’œuvre d’ingénierie des matériaux qui vous aura apporté tant de plaisir.  

Après cette rapide revue de l’état de l’art, la question reste entière. que choisir pour son prochain vélo ? Ecartons d’emblée le critère du prix. Rêver ne coute rien, et de toute façon il existe des vélos chers dans tous les matériaux, et des vélos moins chers également. Ce qui est certain c’est qu’un compétiteur puissant aura toujours intérêt à choisir un cadre carbone. Plus léger, plus rigide, plus aérodynamique, il y gagnera sur tous les tableaux. Mais ça n’est pas notre cas. Un cycliste amateur a bien plus de choix. Je pense que pour nous le matériau du cadre est devenu une affaire de chapelle. Certains ne jurent que par l’acier et son confort incomparable. « Steel is Real » comme disent nos voisins anglais. D’autres considèrent qu’en dehors du carbone point de salut, vu que c’est ce que les pros utilisent. Si c’est bon pour Froome, c’est bon pour eux. Les plus pragmatiques pensent qu’un cadre alu offre de loin le meilleur compromis prix/performance, et ils ont certainement raison. D’autres enfin jurent qu’une fois qu’on a gouté aux charmes d’un cadre titane sur mesure, impossible de revenir à autre chose. Qu’on décide de soutenir l’artisanat Français écoresponsable, en achetant chez Victoire, Cyfac, CMT ou Caminade, ou bien qu’on soit sensible aux prouesses d’ingénierie des grandes marques américaines asiatiques ou italiennes, je pense qu’il n’y a pas de mauvais choix à condition de ne pas acheter un vélo pour l’exposer au mur ou l’empiler dans son garage. Un vélo est fait pour rouler. Plus de vélo est un engagement à rouler plus. Et c’est bien pour ça que je vais continuer à rêver !

Charles

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